OGAWA Yôko - Le petit joueur d'échec


Un garçon vient au monde les lèvres soudées, qu'une opération chirurgicale rectifie à l'aide d'une greffe de peau de sa jambe. Lorsqu'il rencontre un ancien chauffeur de bus qui vit dans un bus désaffecté, le petit garçon découvre ce qui sera sa passion : les échecs. Seulement il aime à jouer en réfléchisant placé sous la table, visualisant le déplacement des pièces sur le plateau de mémoire. Les années passent, le jeune garçon a gardé la taille d'un enfant de 11 ans et trouve un travail dans un club d'échec un peu particulier : le "Club du fond des mers", lequel est situé dans le sous-sol du Pacific Chess Club, au niveau de l'ancienne piscine. Là, il se glisse chaque soir dans le ventre d'un automate joueur d'échec pour des parties que transcrit une jeune femme que le garçon surnomme Miira, comme la petite fille de la légende qui serait morte coincée entre les murs trop rapprochés de sa maison et de celle de ses voisins et avec laquelle il converse depuis toujours.
Un roman assez "spécial" dans lequel j'ai eu du mal à rentrer. L'histoire, peu banale, nous présente un petit héros que je n'ai pas totalement trouvé sympathique ou même humain, ce qui est étrange car d'habitude Ogawa dresse de plus beaux portraits psychologiques de ses personnages qui nous fait ressentir de l'empathie. Ceci étant dit, j'ai lu avec bienveillance ce roman de "Little Alekhine", en référence au grand maître, parfois agacée cependant de ce que l'histoire tourne en rond, ou plutôt, ne prenne pas plus d'essor, en compagnie d'un héros enfermé dans un espace étroit, condamné à des mouvements limités, voire invisibles. Comme dans les rêves.
- A l'extérieur de l'automate, je serais sans doute incapable de jouer aux échecs, vous savez. C'est ainsi depuis toujours, pour ma tête comme pour mon corps. Bien sûr, jouer une partie avec un maître international a été une expérience merveilleuse. Mais pour moi, le merveilleux était dessous, pas dessus. Il ne m'est déjà plus possible d'en sortir. C'est comme pour le fou qui, même s'il le souhaite, ne peut se déplacer en ligne droite : il ne peut le faire qu'en diagonale ; ou comme pour l'éléphante laissée sur la terrasse et qui n'a jamais pu redescendre sur terre. (p. 319)
Yôko Ogawa nous tend ici une sorte de miroir où se reflètent mille formes, les choses se transforment dans le temps : le bus abîmé devient appartement, le jeu d'échec devient table d'échec, la piscine devient salle de jeu, le pâturage touristique en faillite devient résidence de retraite pour les joueurs d'échecs, les petites filles mortes deviennent compagnes de jeux, les joueurs affûtés deviennent de gâteux vieillards. Tous sont comprimés dans un espace qui n'est pas infini, au contraire, la restriction d'espace fait partie du défi, une raison de trouver une échappée. Ogawa nous donne sa vision de la pérennité des choses ou des êtres et lorsque ces derniers disparaissent, ils se transforment eux aussi, à leur manière, dans la conscience de ceux qui restent.

Pour ceux qui s'intéressent au mécanisme du "Turc" cet automate joueur d'échec inventé par le baron Kempelen, je ne peux que leur recommander la lecture du "Secret de l'automate de Robert LOHR".

titre original : Neko wo Daite Zô to Oyogu
année sortie : 2009
édition française sortie en 2013 (Aces Sud)
322 pages
traduction de Martin VERGNE
illustration d'entrée de billet par Shiori Matsumoto (jeune fille à la colombe)

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