BRONTE Charlotte - Shirley


Angleterre, années 1810. Caroline Helstone, jeune orpheline sans fortune est élevée par son oncle, pasteur (et recteur) du village de Briarfield. Elle est secrètement amoureuse de son cousin par alliance Robert Moore, propriétaire d'une fabrique de tissus mais qui, à cause des guerres napoléoniennes de ce début du XIXème siècle qui rendent le commerce au point mort, se débat dans des dettes qui lui semblent inextricables. Par conséquent, il repousse l'idée d'un mariage avec Caroline qu'il aime pourtant et tourne son intéressement vers la jeune Shirley Keeldar, l'héritière de la région qui vient juste de revenir habiter "Fieldhead", le manoir de sa famille, accompagnée de Mistress Pryor sa gouvernante. Après bien des tourments, bien des coeurs brisés, Caroline aura son Robert et Shirley succombera au charme du seul homme qui puisse la dominer : Louis Moore, frère de Robert, son ancien précepteur et amoureux secret.

Charlotte Brontë était plus fière de ce roman que de celui de "Jane Eyre" et je comprends pourquoi. Il est si dense ! traite de politique, condition féminine, classes sociales et barrières conséquentes lorsqu'il est question d'union, de mariage en général (il n'y a pas de mariage heureux sauf exception passées les premières semaines d'euphorie), de religion, de littérature, y compris celle intéressant les enfants, et d'amour aussi ! et même si les relations timides entre les protagonistes nous laissent souvent dans le regret (l'espoir), on a bien entendu envie que chacun trouve son bonheur. Romantisme oblige.
Dans ces dernières années, une abondante pluie de vicaires est tombée sur le nord de l’Angleterre. Les collines en sont noires : chaque paroisse en a un ou plusieurs ; ils sont assez jeunes pour être très actifs, et doivent accomplir beaucoup de bien. Mais ce n’est pas de ces dernières années que nous allons parler ; nous remonterons au commencement de ce siècle. Les dernières années, les années présentes, sont poudreuses, brûlées par le soleil, arides ; nous voulons éviter l’heure de midi, l’oublier dans la sieste, nous dérober par le sommeil à la chaleur du jour et rêver de l’aurore. (incipit)
Quand on sait que Charlotte a écrit ce roman en subissant les morts successives de ses frère et soeurs, on ne peut qu'être admiratif de son style, comique, pertinent, truffé d'anecdotes historiques ou de passages bibliques. Caroline, qui est à mon avis l'héroïne de ce roman, est bien plus sympathique que son amie Shirley. Son personnage a été calqué sur le modèle de sa soeur Anne, tandis que Shirley- le petit chat sauvage- est calqué sur les traits de sa soeur Emily, l'indomptable qui a refusé tous les prétendants qui lui ont demandé sa main ; Anne et Emily étaient dans la vie très proches, de même Caroline et Shirley, bien qu'elles se disputent apparemment le même amoureux, que la douce Caroline est prête à abandonner à son amie puisqu'elle songe à leur bonheur avant le sien.
Charles Haigh Wood

Il y a du Molière dans la plupart des passages dialogués : les personnages se parlent sans se comprendre ou bien ne comprennent pas les allusions parfois ironiques (passage du vicaire malade d'avoir bu du punch en trop grande quantité, et pour dissimuler son état vis à vis d'une tierce personne, Robert, bon prince, fait croire qu'il a eu une indigestion de mouton), ou bien encore prennent au premier degré des allusions qui du coup, tombent sans effet. Bien sûr, certains protagonistes cachent souvent leurs véritables sentiments mais nous, lecteurs, sachant ce qu'il en est, nous observons l'aspect tragi-comique de la scène. Très efficace.

Ajoutons que la description du manoir de Fieldhead est copié sur le modèle de Oakwell Hall, demeure élisabétaine fréquentée par Charlotte, une demeure qui est certes un cadre de choix ! (à visiter virtuellement sur ce lien).

Dans ce roman moins connu, Charlotte Brontë laisse une intéressante évocation de la vie en Angleterre du début du XIX ème ; les coutumes, les peurs, le monde "ouvrier" face au monde "des patrons", la misère et la charité. Grands sentiments, chassé-croisé des coeurs, sans oublier la place de la poésie qui atténue les morsures des coeurs malmenés.
« J’espère que William Cowper jouit maintenant du calme et de la paix dans le ciel, dit Caroline.
— Avez-vous pitié de ce qu’il souffrit sur la terre ? demanda miss Keeldar.
— Si j’en ai pitié, Shirley ? Comment pourrais-je m’en empêcher ? Il avait le cœur brisé quand il écrivit ce poème, dont la lecture brise le cœur. Mais il trouva du soulagement en l’écrivant, j’en suis sûre, et ce don de la poésie, le plus divin que la divinité ait accordé à l’homme, lui a été donné, je n’en doute pas, pour apaiser ses émotions lorsqu’elles sont devenues insupportables. Il me semble, Shirley, que nul ne devrait faire de la poésie dans le but de déployer son talent et son intelligence. Qui se soucie de ce genre de poésie ? Qui se soucie du savoir, des mots choisis, en poésie ? Au contraire, qui ne recherche pas le sentiment, le sentiment réel, quoique simplement et même rudement exprimé ?
— Il paraît que vous le recherchez, vous, dans tous les cas ; et assurément, en entendant ce poème, on découvre que Cowper agissait sous l’impulsion d’une émotion aussi forte que le vent qui balayait le navire, une émotion qui, ne lui permettant pas de s’arrêter pour ajouter aucun ornement à une seule stance de son poème, lui donna la force de l’écrire tout entier avec une perfection consommée. Vous l’avez récité d’une voix ferme, Caroline ; j’en suis étonnée.
— La main de Cowper ne trembla point en traçant ces vers ; pourquoi ma voix tremblerait-elle en les répétant ? Soyez-en sûre, Shirley, aucune larme ne mouilla le manuscrit du Naufragé. Je n’y entends pas les sanglots de la douleur, mais seulement le cri du désespoir, et, ce cri poussé, je crois que le spasme mortel lâcha son cœur, qu’il pleura abondamment et fut consolé. »

année sortie 1849
édition française en 1858
livre électronique téléchargé sur "Ebooks libres et gratuits"
495 pages pour édition papier anglaise
traduction de l'anglais par Messieurs Charles ROMEY et A. ROLET
illustration d'entrée de billet : Oakwell Hall

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