PROUST Marcel - Du côté de chez Swann


Un narrateur se souvient de son enfance, ses vacances dans le petit village de Combray, son amour pour sa mère, et nous parle de Swann, le mystérieux voisin qui vient toujours sans son épouse qui n'est pas assez "comme il faut" pour ses parents. Voici pour la première partie du roman qui se poursuit par le récit d'Un amour de Swann où le narrateur remonte le temps (un an avant le mariage de ses parents-voir p.358), à Paris, au moment où Swann fait la rencontre d'Odette de Crécy, une demi-mondaine, une "cocotte" qui se fait entretenir par ses amants successifs ce qui le rend fou de jalousie mais qu'il finira par épouser. Pour finir, le narrateur décrit dans Nom de pays : Le nom ses envies d'ailleurs ; parce qu'il est incapable de voyager, il en vient à imaginer des lieux rien qu'au travers de leur nom ou de l'idée qu'il s'en fait.
J'avais promis à mon amie M-P que 2013 serait l'année "Proust", loin de moi l'idée de lire toute son oeuvre mais au moins un roman ; c'est chose faite et j'en suis très heureuse. Marcel Proust inaugure A la recherche du temps perdu avec ce premier roman qui sera suivit de 6 autres :
  • À l'ombre des jeunes filles en fleurs
  • Le Côté de Guermantes
  • Sodome et Gomorrhe
  • La Prisonnière
  • Albertine disparue
  • Le Temps retrouvé
Il me semble que c'est la première fois que je relis Proust depuis ma scolarité (lointaine) et j'ai trouvé cette lecture tout à fait vivifiante, le style m'a rendue de bonne humeur car je trouve que Proust a énormément d'humour, sans vulgarité aucune. J'apprécie. De nombreuses pages cornées au fur et à mesure de cette lecture, preuve de mon intérêt. Enormément de références artistiques : tableaux, tapisserie, architecture, l'auteur tient même à préciser que Swann a lui-même étudié celle-ci durant plusieurs années.
"Penser qu'elle pourrait visiter de vrais monuments avec moi qui ai étudié l'architecture pendant dix ans et qui suis tout le temps supplié de mener à Beauvais ou à Saint-Loup-de-Naud des gens de la plus haute valeur et ne le ferais que pour elle, et qu'à la place elle va avec les dernières brutes s'extasier successivement devant les déjections de Louis-Philippe et devant celles de Viollet-le-Duc ! Il me semble qu'il n'y a pas besoin d'être artiste pour cela et que, même sans flair particulièrement fin, on ne choisit pas d'aller villégiaturer dans les latrines pour être à la portée de respirer des excréments". (p.340)
Dans cet extrait choisi on comprend aisément comment Proust manie l'art de l'ironie triste : Swann, délaissé par Odette et son cercle, meurt d'envie de rejoindre ce petit groupe de bourgeois qui le snobent tout en critiquant leurs goûts. D'autres passages évoquent avec beaucoup d'humour la bêtise de certaines communautés (coteries) qui se croient supérieures aux autres parce qu'elles ont de l'argent, quelques relations condescendantes et bien heureuses d'être "reçues", mais se comportent mal en pratiquant assez facilement l'humilation publique de ceux qu'ils considèrent indignes de faire partie ou de rester dans leur cercle.

Proust décrit également admirablement les sentiments liés à la mémoire, au temps qui passe, à la vieillesse, très beaux passages au sujet de la tante Léonie :
"Léonie, dit mon grand-père en rentrant, j'aurais voulu t'avoir avec nous tantôt. Tu ne reconnaîtrais pas Tansonville. Si j'avais osé, je t'aurais coupé une branche de ces épines roses que tu aimais tant." Mon grand-père racontait ainsi notre promenade à ma tante Léonie, soit pour la distraire, soit qu'on eût pas perdu tout espoir à la faire sortir. Or elle aimait beaucoup autrefois cette propriété, et d'ailleurs les visites de Swann avaient été les dernières qu'elle avait reçues alors qu'elle fermait déjà sa porte à tout le monde.
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Ce qui avait commencé pour elle - plus tôt seulement que cela n'arrive d'habitude - c'est ce grand renoncement de la vieillesse qui se prépare à la mort, s'enveloppe dans sa chrysalide, et qu'on peut observer, à la fin des vies qui se prolongent tard, même entre les anciens amants qui se sont le plus aimés, entre les amis unis par les liens les plus spirituels et qui à partir d'une certaine année cessent de faire le voyage ou la sortie nécessaire pour se voir, cessent de s'écrire et savent qu'ils ne communiqueront plus en ce monde. (p.188)
Très beau n'est-ce pas ? Maintenant un mot sur cet amour de Swann qui pourtant n'est pas un imbécile ni un lapin de six semaines et qui se laisse envoûter par cette Odette qui n'est vraiment pas décrite sous un jour flateur, sauf au travers de ceux de Swann
Il plaça sur sa table de travail, comme une photographie d'Odette, une reproduction de la fille de Jéthro. Il admirait les grands yeux, le délicat visage qui laissait deviner la peau imparfaite, les boucles merveilleuses des cheveux le long des joues fatiguées, et adaptant ce qu'il trouvait beau jusque-là d'une façon esthétique à l'idée d'une femme vivante, il le transformait en mérites physiques qu'il se félicitait de trouver réunis dans un être qu'il pourrait posséder. (p.273)
Botticelli : Les filles de Jéthro (détail)

Du coup, je ne l'ai pas du tout trouvée très intéressante, presque détestable, bien qu'elle ait des circonstances atténuantes à cause de ses "débuts" dans le "métier" :
Ne disait-on pas que c'était par sa propre mère qu'elle avait été livrée presqu'enfant, à Nice, à un riche anglais ? (p.415)
Il y a toujours un sentiment de réalité au travers du prisme de l'art, comme si les personnages de Proust devaient toujours se référer à quelque chose d'antérieur à leur propre existence, mais surtout à quelque chose de reconnu. Dans la seconde partie racontée sous un mode omniscient, on comprend que le narrateur n'est pas né au moment des faits
Il la voyait mais n'osait pas rester de peur de l'irriter en ayant l'air d'épier les plaisirs qu'elle prenait avec d'autres et qui - tandis qu'il rentrait solitaire, qu'il allait se coucher anxieux comme je devais l'être moi-même quelques années plus tard les soirs où il viendrait dîner à la maison à Combray -  lui semblait illimités parce qu'il n'en avait pas vu la fin. (p.345)
et je trouve que cette intervention est vraiment joliment faite.

Le narrateur reprend la parole pour son propre compte dans la 3ème partie qui est l'ébauche tronquée du roman suivant "À l'ombre des jeunes filles en fleurs" mais c'est une autre histoire.
...les pays que nous désirons tiennent à chaque moment beaucoup plus de place dans notre vie véritable, que le pays où nous nous trouvons effectivement. (p.438).
On y découvre sa capacité à voyager dans l'imaginaire d'une ville grâce à son nom ou à la représentation idéale et simplifiée de celle-ci au travers d'une peinture. Nous assistons également dans ce court chapitre, au début de son amour pour Gilberte, la fille de Swann aperçue à Combray, et retrouvée par hasard dans un parc d'enfants sur les Champs Elysées (j'imagine qu'ils sont à ce moment là adolescents). J'ignore si j'aurai le temps de poursuivre la lecture de cette oeuvre car j'aime bien varier mes thèmes de lectures, mais il est certain que Proust est un auteur à (re)découvrir alors que j'en avais conservé l'image d'un écrivain complexe au style alambiqué ; il ne me reste rien de cette impression qui est le résultat d'explications de textes un peu trop fouillées et ennuyeuses qui peuvent "tuer" parfois l'envie de lire un auteur par plaisir.

année parution : 1913
427 pages
1- Combray 188 pages
2- Un amour de Swann - 194 pages
3- Nom de pays : le Nom - 45 pages
illustration d'entrée de billet : Pierre-Auguste Renoir : "La Loge" (1874)

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