MANKELL Henning - La Lionne Blanche

Ystad, Suède, 1993. Wallander enquête sur le meurtre d'une jeune femme agent immobilier qui s'est sans doute trouvée là où elle n'aurait pas dû, rencontrant son destin en croisant les activités illicites d'un ancien officier du KGB travaillant pour un fanatique déterminé à éliminer Nelson Mandela.

Un humain qui perd son identité n'est plus un humain. Il devient un animal. C'est ce qui m'est arrivé. J'ai commencé à tuer des gens parce que moi-même j'étais mort. Enfant, je voyais les panneaux, les panneaux ignobles qui montraient les endroits autorisés aux Noirs et ceux qui étaient réservés aux Blancs seulement. Là, déjà, j'ai commencé à rétrécir. Un enfant doit grandir, pousser, mais dans mon pays l'enfant noir devait apprendre à devenir de plus en plus petit. J'ai vu mes parents dépérir sous le poids de leur propre invisibilité, leur amertume contenue. J'étais un enfant obéissant. J'ai appris à n'être personne, un rien parmi les riens. L'apartheid a été mon véritable père. (p.179)

Troisième enquête de Wallander qui est dans sa 44ème année, il se sent fatigué, se trouve trop gros, boit un peu trop, bref, ce n'est pas la grande forme ! Et voilà que cette jeune femme est retrouvée abattue sans autre motif que de s'être perdue dans la campagne et d'avoir voulu demander son chemin. Et voilà un morceau de doigt retrouvé à proximité de son corps, un doigt noir en plein sud de la Suède (Scanie).

Très beau récit, presque un documentaire politique (et une analyse) sur l'Afrique du Sud et ceux qui y vivent, tous meurtris dans leur destin. Mankell a l'intelligence de montrer ses personnages de manière contrastée : même les assassins ont des sentiments. Bien entendu, Wallander est mon "choucou", parce qu'il est dans le doute, il est fragilisé par sa soudaine prise de conscience qu'il doit penser à lui, à se refaire une santé, des amitiés, et à un amour possible.
Victor détacha un bijou qu'il portait au cou et le lui tendit. C'était une dent de fauve.
-Le léopard est un chasseur solitaire, dit-il. Contrairement au lion, il ne croise que ses propres trace. Pendant la chaleur du jour, il se repose dans les arbres avec les aigles. La nuit, il se lève. Le léopard est un chasseur hors pair. Il est aussi le plus grand défi pour les autres chasseurs. Ceci est une canine d'un léopard. Je veux que tu la gardes.
- Je ne suis pas certain d'avoir compris, dit Wallander. Mais j'accepte le cadeau.
- On ne peut pas tout comprendre. Un récit est un voyage qui n'a pas de fin.
- C'est peut-être ce qui nous sépare. Moi, je suis habitué à ce qu'une histoire ait une fin. Je m'y attends. Toi, tu considères qu'une bonne histoire est infinie.
- Peut-être. C'est parfois une chance de savoir qu'on ne reverra jamais quelqu'un. Car alors, quelque chose survit.
- Peut-être. Mais j'en doute.
Victor Mabasha ne répondit pas. (p.300)
Aucune des 470 pages n'est vide de sens, les descriptions, les sentiments, tout est décrit avec une impeccable précision qui rend toute l'histoire et les implications des uns sur les autres tout à fait crédible.

Une formidable enquête !

titre original : Den vita lejoninnan (1993)
édition française 2004 (édition du seuil)
475 pages
traduction du suédois par Anna GIBSON
illustration d'entrée de billet : "L'arrivée au Cap de Jan van Riebeeck" en 1652 par Charles Davidson Bell

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